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Pluie

Photographe : Bagrad Badalian. Body painting : Maud Liegeois. Modèle : Héléna

   Quand le jour n’a pas encore commencé, elles sont déjà là. Elles sont partout, tombent du ciel et s’écrasent contre le béton du trottoir. Elles ressemblent à un rideau qui tombe, une fois le spectacle fini. Mais c’est plutôt le début de tout : Les ombres se lèvent doucement comme si elles avaient peur de déranger. Les bruits se dégagent du silence nocturne, en lâchant leur couverture d’étoiles, et commencent à jeter des enchantements sur la Ville. Nous traversons l’écume comme des poissons. Le sommeil qui enveloppe les rues se retire sur la pointe des pieds. Tout est submergé. C’est un réveil marin.

Elles tombent toujours avec acharnement. Leur chute inéluctable empêche les rayons du bonheur de nous serrer la main. Une bête énorme arrive en coupant la densité et ses lumières sont perçues comme une apparition d’un autre monde. C’est un tram. Nous sommes tous ravis de nous mettre à l’abri dans ses entrailles. Elles nous regardent le nez collé aux vitres, on sent les milles yeux de la pluie nous caresser doucement le corps. Ce corps qui leur a échappé. Elles suivent la bête de fer en attente d’un accouchement : le moment où elles vont nous prendre à nouveau dans leurs bras et nous chanter la berceuse des précipitations. Qui parle d’un fleuve dans le royaume des nuages, là où il ne pleut jamais.

Nous constatons que la Ville entière a été conquise : les bâtiments, jusqu’à la plus haute tour et les parcs, jusqu’à la dernière feuille sont déjà sous le niveau de l’eau. Les piétons nous montrent les branchies qui sont apparues sur leurs têtes. L’anatomie entière des habitants est altérée à cause des profondeurs. Personne ne descend du tram : nous sommes probablement les derniers à avoir survécu à la marée. Transformé en sous-marin, la machine protectrice nous emmène entre rochers et coraux, par des rues infectées de baleines, de dauphins et de voitures qui ne roulent pas. C’est une balade magique.

Soudain, elles arrêtent. La clarté a déjà étendu son voile sur la mer de la Ville. Elles cessent de tomber en nous laissant un vide dans le cœur. L’eau s’en va comme si quelqu’un avait enlevé le bouchon. La pierre doit sécher, l’acier doit sécher. Le soleil sèche ses rayons et même s’ils ne sont pas encore assez brillants, il les laisse aller jouer sur les toits et les balcons. Le tram arrive à destination, la mienne en tous cas, et vomit des visages déjà fatigués avant de commencer la journée. Vite, on change pour le métro avant que ça ne recommence.

La marée monte avec sa fierté renouvelée. Dans les tunnels qu’on transperce on rencontre des poissons lumineux, des fossiles vivants qui attendent la nuit pour aller à la chasse. Nous avons des frissons. Chaque jour nous évitons la pluie. Au moment où elles s’affaiblissent nous nageons jusqu’au bureau, au chantier ou aux hôpitaux. C’est notre défi quotidien : arriver à nos postes sans subir des transformations.

Dans les bâtiments fermés hermétiquement nous les observons lécher les fenêtres. Qui sait quand on sera mangés… Notre âme absorbée par l’humidité. Notre histoire consommée sous les écailles : plus de mémoire sur ce peuple qui a vécu sous telle menace.

Nous ne savons plus pourquoi, mais nous continuons à travailler et à vivre malgré la panique. En attente de l’heure où on devra quitter la protection des murs et des vitres, ces vitres qui sont comme un aquarium sec pour nous, nous parions sur ce qui va se passer au prochain assaut des gouttes. Personne ne le sait…

Elles sont là.

Exercice de français ou Bruxelles

2nd collection Photographer : Guillaume Kayacan MUA: Doll make-up/Carol Timperman/Maud Liegeois/Sandrine Make-up Models : FLAG MODELS

La Ville se réveille avec un bruit d’os. Ses ronflements commencent avec des trams taciturnes et se prolongent le long du canal. Ce canal qui est comme une plaie en plein visage, une cicatrice que porte cette dame grise qu’est la Ville. Oh ! Femme habillée de maisons, ta robe a plus d’un siècle et tu la portes comme celle du dimanche. On entend le soleil caresser tes lourds nuages sans les transpercer. Le monde a du mal à ouvrir ses yeux sur cette île d’acier et de béton. Des flaques d’eau et d’huile ressemblent à des taches de rousseur, des points de beauté. Les chats s’enfuient comme des âmes peureuses. Les voitures, les autobus et d’autres créatures  se lancent dans la marée des rues infinies ; plus qu’une ville c’est comme une mer ou comme une forêt aux racines inextricables. C’est dans cette forêt que je suis arrivé, sans nom et sans mémoire, fils du passé, propriétaire du hasard.

La première chose qui m’a frappé dans la Ville c’est son ciel ; on dirait une falaise inversée par où coulent des fleuves fantastiques. Des fleuves qui provoquent souvent des chutes d’eau, et quelles chutes ! On marche dans les rues ophidiennes en portant l’humidité comme une morsure de cobra dans les os. Tremblent aussi sous la pluie les tours squelettiques, les églises et les monuments ; c’est le paradis pour le vert et le cauchemar pour la pierre, et pour la chair… Habitants de cette folie, on devient comme des champignons qui se baladent sous un rideau de précipitations.

Après il y a la beauté des maisons, ces temples de la simplicité que l’homme a construit sous prétexte de se protéger du froid et des intempéries, mais qui sont là aussi pour être admirées. Avec une disposition parfois sauvage ou chaotique mais impassibles aux assauts que le temps a accompli en essayant de voler son charme. Sans succès. L’essence d’un continent est gravée sur les façades qui regardent les habitants avec une expression historique et une goutte d’ironie.

Après il y a le froid. Cet ami qui aime bien plaisanter en tapant sur les côtes. Qui adore faire mal aux doigts et au nez avec sa pince de fer ! Il n’a jamais grandi, ce gars au sourire tremblant. Il est le fils gâté de la Ville, toujours des bêtises sans punition !

Et finalement on arrive au mélange de races et de cultures qui mijote dans cette casserole miraculeuse. Mille langues, toutes les couleurs de peau, tous les tons et toutes les tonalités ! On se croirait dans un congrès des nations extraordinaire et perpétuel. C’est la Ville du futur, mesdames et messieurs, elle le sait et en est fière.

Je suis un oiseau de plus, un grain de sable dans le désert, une graine dans la forêt, une molécule d’hydrogène dans la pluie, un chat dans les ombres, un flaque du matin après une nuit de tempête, un rayon qui transperce le coton ! Le dernier arrivé, celui qui se laisse encore éblouir par la beauté, celui qui est capable d’entendre le craquement des os et le rire des murs. Avant de m’habituer au gris et aux cris des corbeaux et de commencer à me plaindre comme les autres…

L’immigrant.

Resumen

Todavía soy el mismo

Sigo amando la soledad

aunque la traicione

con el resto de mi vida

donde me integro

al ruido de este mundo

sin fin

Regreso a buscar a mi amante

como un adicto a la calma

En un rincón

sigo tirado

aunque no en el mismo

lugar, quiero decir

lejos de mi origen

después de todo el tiempo

la distancia

sigo profanando la hoja estéril

como siempre.

Photographe : Vlad VDK
MUA : Maud Liegeois
Modèle / Styliste : Jean Pol Fontesse